Comment on peut apprendre à nager, nous autres, à la montagne, sans eau. Ils sont partis la nuit. Il y avait un peu de vent, mais le passeur n’a pas voulu attendre. Il a dit : « Si on attend, c’est trop dangereux, les gardes tournent. »
Un énième roman sur les Harragas ? Détrompez-vous, c’est le seul passage du livre où il est question de ce drame du siècle qui déchire des familles entières un peu partout dans les pays déshérités.
Le livre ? Un roman d’une douceur exquise qui éternise une histoire de grand amour dans une communauté de pasteurs nomades au Maroc. Sous le titre « Bucoliques berbères Itto, fille de l’Atlas » que l’on doit à une sœur d’église de « quatre-vingt ans et des poussières », selon la brève présentation que nous en fait Jean-Pierre Koffel, un autre romancier marocain de talent, dans la quatrième de couverture. Il s’agit de Sœur Simone Bocognano qui s’inspire d’une expérience réelle qu’elle a vécue durant neuf ans (jusqu’en 2003) qu’elle a passée en compagnie des pasteurs nomades des Hauts Plateaux au-dessus de Midelt.
Koffel poursuit : « De cette expérience, elle s’est sentie comme un devoir de reconnaissance de faire un livre, non point un compte rendu d’actions de grâces, mais un vrai roman dont elle est absente ». A la manière sans doute de pionniers dont Marie Barrère-Affre à qui on doit, dès 1919, pas moins d’une vingtaine d’ouvrages dont des romans pour enfants, tous se passant dans les montagnes de l’Atlas (Les Filles de Barbe-Bleue ; Terres farouches, Le Cristal de l’ambre…) ou René Euloge auteur de « Le Chant de la Tassaout », qui fut un des premiers instituteurs à Demnat dans les années 20 et qui fut un admirateur de la résistance des tribus berbères à la colonisation ; ou encore d’un François Bonjean, admirateur de l’Orient mais qui a écrit des récits sur le Maroc (« Fès ou les bourgeois de l’Islam », « Courrier postal », un beau-livre).
De quoi s’agit-il dans le roman de Sœur Simone ? De l’éternelle histoire d’amour de Roméo et Juliette dans une communauté de pasteurs nomade, “là haut dans les montagnes de l’Atlas. Sauf qu’ici, les tensions, les haines ancestrales entre les deux familles des deux amoureux sont évacuées. La vie en haute montagne, malgré - ou peut-être en raison de - sa simplicité, voire son dénuement, coule comme une rivière courant d’eaux limpides et douces.
Il y a de la pudeur cependant à exprimer ses sentiments. C’est le cas de Ali et de la douce Itto. Enfants, ils jouaient ensemble en faisant paître les troupeaux de moutons. Adolescents, ils se découvrent de l’affection l’un pour l’autre que la précarité de leurs conditions, la misère empêche de se concrétiser.
A travers les péripéties de l’histoire, Sœur Simone nous plonge dans les détails de la vie quotidienne des pasteurs nomades de la région de Midelt.
Tiraillés entre l’avance inexorable de la modernité et la dureté de la vie en terre aride sous l’effet de la sécheresse prolongée, entre l’incompréhension des hommes et la rudesse de la nature, les familles d’Itto et de Ali, comme les nombreuses autres de la communauté, sont menacées de disparaître sans pour autant trouver leur place ailleurs. Dans l’impossibilité d’aller demander la main d’Itto dans ces conditions, Ali décide d’aller travailler dans les mines de Jerada qui, comme on le sait, devait fermer un peu plus tard. D’où sa décision de tenter l’immigration clandestine et la mort.
Roman d’amour, le livre raconte également une histoire à multiples facettes, celle d’une amitié pure et indéfectible entre Itto et Mimouna ; celle d’une société roussoïste où la bonté et la sincérité, le respect dû au prochain, la solidarité sont des valeurs puisées dans la nature.
Editions Le Fennec 258 pages
Les lumières de Midelt
« Midelt ! La petite bourgade montagnarde faisait figure de grande capital pour ces nomades qui ne connaissaient que les petits villages de montagne. Midelt ! où la plupart d’entre elles n’étaient jamais allées et qu’elles ne connaissaient que par les descriptions qu’en faisaient leurs pères ou leurs maris en revenant du souk. Midelt ! avec ses lumières « des rues éclairées la nuit comme en plein jour », ses magasins « où on trouvait tout, absolument tout », ses cafés pleins de monde, son marché débordant de fruits et de légumes, ses maisons si hautes… Laquelle de ces jeunes filles n’avait rêvé un jour d’y vivre dans l’abondance, le repos, le plaisir ?
Le tas de laine cadrée augmentait. Aïcha et Baha parlaient toujours avec excitation joyeuse : pour elles, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute : Itto allait accepter. Pouvait-on refuser une occasion pareille ? C’est comme si ce mariage était fait. »